Franois MORAND, archiviste

de Boulogne-sur-mer

(par Marcel FOURNET)

 

 

Franois MORAND na”t en 1808 ˆ Boulogne-sur-mer dans la rue Saint-Jean. Il commence ses Žtudes ˆ lĠinstitution BLƒRIOT comme SAINTE-BEUVE, o il peut admirer le triomphe de ce dernier lors de sa dernire distribution des prix, et il les termine dans celle de Mgr HAFFREINGUE. Il ne sera ni Žcrivain comme son idole, ni banquier comme son oncle FŽlix MORAND. En 1826, il milite pour la libertŽ de la presse menacŽe par Charles X, et sŽjourne alors ˆ Paris chez Dom BƒTHENCOURT son grand-oncle pour Žtudier le droit. Ce dernier lui fait en plus dŽcouvrir les richesses de la capitale et fait na”tre en lui un vif intŽrt pour lĠHistoire.

Revenant en 1832 ˆ Boulogne, MORAND devient juge de paix en 1839, juge supplŽant au Tribunal Civil en 1852, juge titulaire en 1861. Eugne MARTEL, ancien principal du collge municipal et bibliothŽcaire de la ville, dŽclare dans son discours funbre prononcŽ le jour de ses obsques que MORAND fut un magistrat intgre et indŽpendant, quĠil contribua ˆ lĠŽdification du collge communal autant quĠAlexandre ADAM, et quĠil enrichit la Bibliothque communale de ses dons et ouvrages personnels, tel La vie de Saint-Bertin.

En 1836 Franois MORAND est nommŽ archiviste (sans traitement) de Boulogne. A son arrivŽe dans ce service, suite aux bouleversements de la RŽvolution, les dossiers sont sans ordre dans le grenier de lĠh™tel de ville, ˆ la merci des souris et de la pluie. EparpillŽs sur le plancher, ils sont parfois piŽtinŽs par le jeune Auguste MARIETTE (futur Žgyptologue) et ses camarades de jeux qui jouent au coque muche. Il Žtait temps que MORAND arriv‰t ! Il revt alors un habit spŽcial vert-jaune pour dŽbarrasser les archives des toiles dĠaraignŽe, gravats et couches de poussire, ce qui fait bien rire Franois MARIETTE, pre dĠAuguste, alors secrŽtaire de mairie (bon vivant para”t-il), et responsable des archives municipales de 1820 ˆ 1836. Avant 1820, lĠhistorien Jacques Franois HENRY est archiviste en titre.

En plus de son travail dĠorganisation et de restauration des archives municipales, fortement endommagŽes en 1544 lors du sige de Boulogne par les Anglais, et en partie bržlŽes en 1793 par des Boulonnais (parchemins et registres de la commune en plus des titres de noblesse), Franois MORAND devient ensuite passionnŽ par lĠhistoire de sa rŽgion, et fait preuve dĠextrme rigueur dans ses recherches, suivant la mŽthode de Pierre DAUNOU qui nĠhasarde rien, nĠŽcrit pas un mot sans apporter sa preuve. Il est lĠhomme du point dĠinterrogation.

En 1838, Pierre DAUNOU alors directeur des Archives Nationales Žcrit au maire de Boulogne Alexandre ADAM quĠil veut bien y recevoir MORAND pour lui faciliter les recherches personnelles, sans frais pour la municipalitŽ.

En 1839, MORAND Žcrit ˆ lĠhistorien Augustin THIERRY pour lui proposer une organisation des Archives Municipales ˆ lĠŽchelon national. Il Žcrit au dŽbut de sa lettre, dont la version imprimŽe par le Conseil GŽnŽral en 1839 est conservŽe ˆ la Bibliothque des Annonciades sous la cote S2 3654: Ç Je suppose que lĠorganisation des archives communales de France est une nŽcessitŽ reconnue par le gouvernement et quĠil veut la satisfaire. Ces archives devraient tre divisŽes en deux parties : lĠune dans laquelle on ferait entrer les actes administratifs, judiciaires, domaniaux depuis la RŽvolution de 1789 ˆ nos jours et ceux qui suivront ; lĠautre comprendrait les pices, titres, documents du gouvernement, de la justice et de lĠadministration de la France pendant les sicles qui ont prŽcŽdŽ cette RŽvolution. È

Aprs plusieurs pages de suggestions, il conclut sa lettre en Žcrivant :

Ç Ce serait un grand progrs, quĠau sortir de leur collge, o lĠenseignement de lĠhistoire locale ne pŽntre pas, des jeunes gens qui vont entrer dans le monde, possŽdassent les annales de leur contrŽe, seulement aussi bien quĠils font aux discours de Tacite ou de Tite-Live une concurrence de rhŽtorique. Il serait surtout ˆ propos que les latinistes jurŽs de la FacultŽ des Lettres, pour expliquer un annaliste ou une charte du moyen-‰ge, ne fussent pas forcŽs de se remettre ˆ apprendre le latin. A c™tŽ du savant et de lĠamateur, du professeur et de lĠŽlve qui compulseront les cartons dĠarchives, ceux-ci pour Žtudier et conna”tre le passŽ, ceux-lˆ en vue de lĠŽcrire et de lĠenseigner, dĠautres hommes doivent y trouver place. LĠadministrateur, lĠŽconomiste, le conseiller de la commune ou de lĠarrondissement, le citoyen qui aspire ˆ le devenir, tous ceux qui ont quelque action ˆ exercer sur les destinŽes dĠune commune, ou prennent quelque part ˆ la gestion des affaires publiques, nĠy manqueront pas de leons et dĠexemples qui vaudront ˆ ces fonctions moins dĠambitions vulgaires pour les rechercher et plus de capacitŽs rŽelles pour les remplir utilement. JĠajoute que lĠorganisation des Archives historiques ouvre une nouvelle carrire dĠŽmulation, par lĠordre et le travail, ˆ une jeunesse qui nĠa pas toujours le choix des emplois ni lĠaccs des professions auxquelles ses Žtudes la destinent, dans un sicle o le concours est immense ˆ se les disputer. En rŽsumŽ la conservation des Archives historiques, aprs mille outrages, est une rŽparation que la France du XIXe sicle doit ˆ la civilisation et aux lettres. Mais chacune des sections qui contribueront ˆ la former, font partie des attributions de diffŽrents ministres. Peut-on douter quĠau regard dĠune destination plus conforme ˆ leur objet, chaque dŽpartement ministŽriel ne sĠempresse de les mettre ˆ la disposition de celui dĠentre eux qui est leur protecteur naturel, ˆ titre de ministre de lĠinstruction publique ! È

On note que MORAND est vraiment un prŽcurseur dans son projet de classement des archives en deux parties principales, mais toutes regroupŽes au sein dĠun mme ministre, quĠil regrette que les jeunes gens nĠŽtudient pas lĠhistoire locale, et quĠil pense que les Archives Municipales rŽorganisŽes auront une valeur Žducative et formatrice, y compris pour nos Ždiles, ŽgratignŽs au passage!

Franois MORAND Žcrit aussi chaque semaine dans les journaux le Franc Parler et lĠAnnotateur des articles sur lĠart et le thŽ‰tre. Il sige ds 1843 au conseil municipal, de 1851 ˆ 1853 il est adjoint au maire, de 1852 ˆ 1870 il est Žlu conseiller dĠarrondissement. Il est ŽcartŽ des affaires publiques en 1870, car ˆ cette Žpoque il est plut™t conservateur. HAIGNERƒ disait de lui : Ç cĠest un libŽral ˆ la mode de 1828. È

En 1854, le chanoine Daniel HAIGNERƒ (1824-1893) le remplace aux Archives Municipales, et continue avec beaucoup de talent le travail de son prŽdŽcesseur jusquĠen 1871. Il est alors remplacŽ par Ernest DESEILLE, nŽ le 14 mai 1835 ˆ Boulogne, archiviste jusquĠˆ sa mort survenue le 26 aožt 1890, et qui fait un Inventaire des archives municipales de la ville avant la RŽvolution, et un RŽpertoire des dŽlibŽrations de 1789 ˆ 1871, ainsi que de nombreuses recherches en gŽnŽalogie et histoire locale, et des Žtudes de fond sur le patois des matelots boulonnais comme lĠa fait aussi Daniel HAIGNERƒ.

 

Quelques oeuvres de Franois MORAND : Les jeunes annŽes de SAINTE-BEUVE (1872) ; Notice sur les Žcrivains boulonnais inconnus (par exemple Sulpice CHARLE-MAGNE, avocat ˆ Boulogne nommŽ official de ThŽrouanne au chapitre cathŽdral de Boulogne et bailli de Notre-Dame, qui Žcrit vers 1566 un mŽmoire sur le saccagement de la cathŽdrale par les Huguenots); Annales boulonnaises ; Chroniques du sige de Boulogne ; lĠAnnŽe historique de Boulogne (1859); La vie de Saint Bertin en vers (1872); Lettres inŽdites du Pape Alexandre III (1875) ; Les derniers baillis et procureurs de Boulogne (1883); DŽfinitions du chapitre de Cluny en 1323 ; EphŽmŽrides de lĠhistoire du Boulonnais (1851); Rapport sur les archives municipales dĠAire sur la Lys (1839); articles Žcrits dans lĠAlmanach de Boulogne ; Žtudes sur la cloche du beffroi.

La qualitŽ du service actuel des Archives Municipales de Boulogne-sur-mer doit beaucoup au travail acharnŽ et efficace des archivistes MORAND, HAIGNERƒ, DESEILLE.

Une rarissime erreur de MORAND devant servir de leon aux gŽnŽalogistes :

Le peintre Philippe Auguste JEANRON, restaurateur du Louvre sous la Seconde RŽpublique, et auteur dĠÏuvres comme Vue du Cap Gris Nez effet du soir , Littoral dĠAmbleteuse, Pcheurs dĠAudresselles, dŽcde ˆ Comborn (Corrze) en 1877. Il est dit dans lĠacte de dŽcs quĠil est nŽ ˆ Boulogne le 10 mai 1808. Franois MORAND conteste alors ce fait car il ne trouve pas la naissance dans les tables dŽcennales. Il se fait quĠelle manque ... dans les tables dŽcennales, mais quĠelle se trouve effectivement dans le registre des naissances ! Il faut en effet savoir quĠil y a des oublis et mme des erreurs dans les tables dŽcennales.

 

(Source principale: lĠAnnŽe Boulonnaise, Žcrite en 1885 par Ernest DESEILLE archiviste de Boulogne sur Mer, et secrŽtaire de la SociŽtŽ AcadŽmique du Boulonnais.)