Pierre DAUNOU

(1761 Boulogne/mer-1840 Paris)

nommŽ le 15 dŽcembre 1804 archiviste de lĠEmpire

(par Marcel FOURNET)

 

LĠarbre gŽnŽalogique de Pierre Daunou montre quĠil a des anctres originaires de :

á               Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais) qui sont marins, brasseurs de bire, laboureurs ;

á               Castelnaud-de-Gratecambe (Lot-et-Garonne) versŽs dans la chirurgie ;

á               Saint-Marcellin (Isre) qui exercent les fonctions de notaire royal, dĠapothicaire.

Un hŽritage culturel aussi original, ˆ cause principalement de la variŽtŽ des rŽgions dĠo ses anctres sont originaires, a certainement un impact sur sa personnalitŽ. Les qualitŽs de Daunou ne peuvent tre le fruit du hasard.

 

 

Pierre Daunou pendant sa jeunesse

 

Dans sa prime enfance il est lĠŽlve des Cordeliers (rue des Minimes) qui dŽclent des aptitudes pour lĠŽtude, et ˆ sept ans il entre au collge des Oratoriens de Boulogne (rue de lĠOratoire) qui lui enseignent Ç les humanitŽs, la rhŽtorique, la philosophie, les mathŽmatiques È. LĠenseignement dispensŽ est ˆ la pointe des idŽes nouvelles qui se dŽveloppent alors sous lĠinfluence des philosophes des Lumires, on y apprend autant ˆ rŽflŽchir quĠˆ croire, on essaie de former des ttes bien faites plut™t que bien pleines.

En 1777 faute de pouvoir faire ˆ Paris des Žtudes de droit, il se rŽsigne ˆ devenir prtre sans avoir vraiment la vocation. Aprs un autre cycle dĠŽtudes, il devient professeur dans des Žtablissements tenus par les Oratoriens et est ordonnŽ prtre en 1787. RŽconcilier Dieu et la libertŽ est sa prŽoccupation de lĠheure.

 

 

Jean RenŽ Asseline,

Žvque de Boulogne en 1790

 

Au moment o Žclate la RŽvolution de 1789, il est forcŽment enthousiaste et milite pour lĠŽtablissement de la constitution civile du clergŽ avec dĠautres Oratoriens tel SiŽys. A Boulogne-sur-mer est crŽŽe le 17-9-1790 Ç la SociŽtŽ des Amis de la Constitution È, qui aura de nombreux rapports avec le Club des Jacobins de Paris. Le pre de Daunou nŽ en 1725 en Agenais, prŽnommŽ aussi Pierre, en est un membre fondateur. Pierre Daunou y est admis le 31-12-1790, aprs avoir rŽdigŽ un article intitulŽ Ç Accord de la foi catholique avec les dŽcrets de lĠAssemblŽe Nationale sur la constitution civile du clergŽ È .

Dans son Žcrit, publiŽ ˆ 250 exemplaires et diffusŽ dans le district, il y dŽnonce la lettre pastorale de Mgr Jean RenŽ Asseline Žvque de Boulogne, qui incite les prtres ˆ refuser de prter serment. Il y dŽclare aussi que lĠŽlection des curŽs et Žvques ramne lĠEglise ˆ la simplicitŽ des premiers ap™tres. Peu aprs Daunou est nommŽ vicaire auxiliaire de lĠŽvque constitutionnel de Paris. Mais son rve dĠharmoniser lĠEvangile et la RŽvolution Žclate, et en septembre 1792 il abandonne la prtrise et est Žlu ˆ la Convention Nationale.

Lors du procs de Louis XVI en 1793, sĠil considre ce dernier comme coupable de trahison envers la France, il dŽnie ˆ la Convention le droit de sĠŽriger en tribunal, estimant que cela nĠest pas conforme ˆ la sŽparation des pouvoirs, telle que Montesquieu lĠa dŽfendue. En mŽlangeant le lŽgislatif et le judiciaire, la France renie ses principes de 1789. Daunou estime que Louis XVI a droit comme tout citoyen ˆ lĠapplication du droit, et en aucune faon ˆ un procs fait sous la pression des tribunes savamment remontŽes par les extrŽmistes dont Saint-Just, lui aussi ancien Žlve des Oratoriens. Il propose que le roi soit reclus provisoirement, puis banni de France aprs la paix avec les puissances europŽennes. De toute faon, Daunou est contre la peine de mort, et il dŽclare que ÇlĠon parlera un jour de ce supplice, comme nous parlons aujourdĠhui de la torture pratiquŽe autrefois dans les enqutes judiciairesÈ. MalgrŽ quelques interventions de Daunou pour sauver la tte du roi, les Montagnards lĠemportent et Louis XVI est guillotinŽ en janvier 1793.

 

 

Double louis dĠor au portrait de Louis XVI, ayant un cours de 48 livres. Lors de sa fuite ˆ Varennes en 1791, le roi aurait ŽtŽ reconnu par le ma”tre de poste de Sainte-Menehould qui avait tenu en main une telle monnaie et avait donc mŽmorisŽ son visage.

 

Peu aprs Daunou sĠoppose sans cesse ˆ Robespierre, et sĠinsurge contre lĠarrestation et lĠexŽcution des dŽputŽs girondins, faites encore par des moyens totalitaires, en totale contradiction avec lĠesprit de 1789, mais qui prŽfigurent singulirement les procs truquŽs qui ont lieu au XXe sicle dans les rŽgimes totalitaires de droite comme de gauche. Il est alors arrtŽ ˆ Paris le 3 octobre 1793, dans lĠh™tel garni de la rue Saint-HonorŽ. Par on ne sait quelle chance il nĠest pas guillotinŽ, et il tient bon pendant 17 mois en prison en relisant les philosophes de lĠAntiquitŽ. Aprs la chute de Robespierre il est libŽrŽ le 24 octobre 1794, et est rŽintŽgrŽ ˆ la Convention, o il fait rŽhabiliter le philosophe Condorcet mort mystŽrieusement en prison.

 

            

                    

 

Daunou et Robespierre : deux conceptions diffŽrentes de la RŽvolution

 

Pierre Daunou est lĠun de ceux qui rŽdigent la constitution de lĠan III (1795), celle du Directoire tant dŽcriŽ, faite pour Žviter ˆ tout prix le retour dĠune dictature. Le balancier de lĠHistoire aprs tre allŽ trs loin ˆ gauche, revient trs fort ˆ droite, car seuls les citoyens payant une contribution pourront voter. On estime que lĠŽgalitŽ civile est tout ce que lĠhomme raisonnable peut exiger, lĠŽgalitŽ absolue Žtant une chimre. Cette constitution, qui fragmente ˆ lĠextrme le pouvoir tant lŽgislatif quĠexŽcutif, rŽtablit en bonne place le droit de propriŽtŽ, au mme titre que la libertŽ, lĠŽgalitŽ, la sžretŽ. Le prŽambule est une dŽclaration des droits et devoirs du citoyen. Daunou est Žlu prŽsident du Conseil des Cinq-Cents en 1795 et 1798. Les institutions quĠil a imaginŽes sont fragiles et entretiennent lĠesprit de revanche, tant des royalistes que des Jacobins. PrŽcŽdents f‰cheux, lĠarmŽe est appelŽe deux fois ˆ intervenir dans la vie publique.

Lˆ o Daunou donne le meilleur de lui-mme, cĠest dans lĠŽlaboration de projets concernant lĠinstruction du peuple. Mais ses projets ne pourront tre mis en application pour des raisons pŽcuniaires, la situation Žconomique et financire hŽritŽe de la Convention Žtant catastrophique. Pour lĠenseignement primaire, Daunou prŽvoit une Žcole par canton. On y Žtudie le calcul, lĠŽcriture, la lecture, la morale rŽpublicaine. La gratuitŽ nĠest pas totale, sauf pour les indigents. Les instituteurs vivront de la contribution des familles et de la municipalitŽ, lĠEtat fournissant le local et le logement de lĠinstituteur. On crŽe aussi dans chaque dŽpartement une Žcole centrale uniquement pour les garons : lĠŽquivalent de nos collges et lycŽes dĠaujourdĠhui, pour les Žlves de douze ˆ dix-huit ans. En 1798 la premire Žcole centrale du Pas-de-Calais est crŽŽe ˆ Boulogne-sur-mer. Cela ne pla”t pas aux Arrageois, qui dŽnoncent ple-mle : ÇlĠisolement de Boulogne, son air marin dŽtestable, et la prŽsence dĠun trop grand nombre dĠAnglais qui peuvent pervertir la jeunesseÈ ! En ce qui concerne lĠenseignement professionnel supŽrieur on assiste ˆ lĠouverture dĠŽcoles spŽciales o lĠon enseigne une science, un art, une profession, entre autres la mŽdecine, lĠastronomie, lĠart vŽtŽrinaire, la musique, la peinture, lĠhistoire naturelle etc etc... Belle revanche posthume pour Lavoisier guillotinŽ pendant la Terreur, Pierre Daunou estimant quant ˆ lui, que la RŽpublique a besoin de savants. Enfin il est crŽŽ un Institut de France, qui a pour fonction de rassembler les branches du savoir : sciences, philosophie, lettres, arts.

 

 

En 1799, Daunou se rallie ˆ Bonaparte aprs son coup dĠŽtat, et participe ˆ la rŽdaction de la constitution du Consulat. Il est mme Žlu prŽsident du Tribunat en 1800. Mais rapidement il se rend compte que Bonaparte veut un pouvoir absolu et entre souvent en conflit avec lui. Ayant ŽtŽ ŽvincŽ du Tribunat il se retire en 1802 de la politique active. Difficile dĠtre ˆ la fois politicien et philosophe Žpris de libertŽ et de droit !

Conservateur de la bibliothque du PanthŽon, il dresse de 1802 ˆ 1804 le catalogue des incunables, fruit des pillages faits par la France pendant les campagnes dĠItalie de 1797. Une rŽconciliation avec NapolŽon intervient ensuite : Pierre Daunou est nommŽ archiviste de lĠEmpire le 15 dŽcembre 1804, aprs le dŽcs dĠArmand Camus fondateur des archives nationales, nommŽ en 1789 par lĠassemblŽe constituante. Les archives nationales sont transfŽrŽes en 1809 du Palais Bourbon ˆ lĠH™tel de Soubise dans le quartier du Marais. Les documents sont alors plut™t stockŽs que triŽs, et Daunou met au point un systme de classement ˆ base de lettres et de chiffres encore en vigueur de nos jours.

Par exemple aux archives dŽpartementales ˆ Dainville (62) :

á               Dans la sŽrie notŽe ÇFÈ (fond dĠarchives), les actes notariŽs sont cotŽs dans une sous-sŽrie nommŽe Ç4EÈ, les actes du tribunal rŽvolutionnaire dĠArras sont cotŽs ÇLÈ, les documents concernant lĠŽvchŽ de Boulogne Ç1GÈ, les Centimes et Vingtimes Ç2CÈ, les biens nationaux Ç1QÈ, etc. LĠexamen du document cotŽ ÇF 4E49/16È nous donne les actes notariŽs (contrats de mariage, baux, ventes) du notaire Du Formanoir ˆ Boulogne pour les annŽes 1680. Le document cotŽ ÇF 1Q2045È dŽcrit lĠinventaire fait le 11-12-1792 ˆ Saint-Omer de la cave ˆ vin de ÇlĠŽmigrŽ Emmanuel Le SergeantÈ, ci-devant seigneur dĠAcq (62) ; on dŽcouvre avec ravissement quĠil y a 1500 bouteilles de vin blanc et rouge, dont 400 de Bourgogne rouge. On sait maintenant o passaient les redevances fŽodales, cens, champarts et autres droits de relief, payŽes par nos anctres vivant dans cette commune dĠAcq!

á               Dans la sŽrie notŽe ÇIÈ (iconographie) on trouvera les portraits qui sont reproduits dans le prŽsent article. Le document cotŽ ÇI 6FI/D1445È reprŽsente le portrait de Mgr Asseline.

En 1810 Pierre Daunou se compromet avec NapolŽon en Žcrivant un livre critiquant la puissance temporelle des papes, ouvrage destinŽ sans doute ˆ justifier la politique de lĠempereur vis ˆ vis de Rome. Il est rŽvoquŽ en 1816 des archives par Louis XVIII, malgrŽ une intervention de Decazes qui Žcrit ˆ ce propos : Ç ™ter M. Daunou des Archives, ce serait descendre Apollon du BelvŽdre, de la barbarie toute pure ; je propose une trve pour que nous lui tendions les bras È. Daunou est alors rŽdacteur en chef du Journal des savants, puis il est nommŽ en 1819 professeur dĠhistoire au Collge de France. Il est Žlu dŽputŽ la mme annŽe et mne combat contre les ultra-royalistes. En 1830 comme parlementaire il signe une pŽtition contre Charles X ; la mme annŽe il retrouve son poste aux archives nationales. En 1831 Žtant rapporteur dĠun projet sur lĠinstruction publique, il se prononce pour la libertŽ de lĠenseignement. En 1834 ‰gŽ de 73 ans, Pierre Daunou nĠest plus dŽputŽ ni professeur mais conserve la direction des archives jusquĠˆ sa mort en 1840. Au moment de son dŽcs sa bibliothque personnelle comporte 2468 ouvrages classŽs en cinq dŽnominations : histoire, belles lettres, sciences et arts, jurisprudence, thŽologie. Elle sera vendue aux enchres en 22 vacations.

Pierre Daunou peut tre considŽrŽ comme un homme de bien car comme rŽvolutionnaire il nĠa pas de sang sur les mains, il Ïuvre pour dŽvelopper lĠenseignement, et met de lĠordre dans le classement des archives pour le plus grand bonheur des historiens et des gŽnŽalogistes. Menant une vie (trop) austre, toujours digne et dans le chemin du devoir, il ne cherche pas ˆ sĠenrichir et ne devient pas comte dĠEmpire comme tant dĠautres.

Sa passion majeure: le respect du droit.

[Sources utilisŽes: dictionnaires de biographies franaises ; lĠouvrage de GŽrard Minart ancien journaliste ˆ la Voix du Nord intitulŽ : Pierre DAUNOU, aux Žditions Privat ; archives municipales et documents de la Bibliothque des Annonciades de Boulogne-sur-mer .]

 

Une anecdote: vers 1871 est crŽŽ ˆ Boulogne-sur-mer un Çcercle DaunouÈ dont le but est dĠaprs lĠarticle premier, de Çfaciliter les relations de sociŽtŽ entre les habitants de lĠarrondissement de BoulogneÈ. En 1873 il est dissous par le sous-prŽfet qui estime que ledit cercle est composŽ de Ç200 Gambettistes du plus bas Žtage, des rŽpublicains rouges des plus enragŽsÈ, qui vŽhiculent des libelles contre le gouvernement.

 

 

Les portraits des innombrables chefs dĠEtat sous lesquels a vŽcu Pierre DAUNOU,

vus ˆ travers lĠart monŽtaire (photos agrandies environ deux fois)

 

    

 

                Louis dĠor de Louis XV                                                                Louis dĠor de Louis XVI

 

     

 

         Louis dĠor constitutionnel de Louis XVI                                         Pice de 20 francs de Bonaparte

 

    

 

       Pice de 20 francs de NapolŽon empereur                                     Pice de 20 francs de Louis XVIII

 

   

 

               Pice de 20 francs de Charles X                                            Pice de 20 francs de Louis Philippe

 

Pierre DAUNOU a donc connu une grande variŽtŽ de sytmes politiques. NŽ en 1761 ˆ lĠŽpoque de la monarchie de droit divin sous Louis XV, il passe son adolescence sous le rgne de Louis XVI . Il conna”t ensuite le temps ŽphŽmre dĠune monarchie constitutionnelle, puis celui de la Terreur, et contribue ˆ fonder le Directoire en 1795. Les rŽgimes suivants se succdent aprs des coups de force : coup dĠŽtat en 1799 et Žmeute en 1830, ou consŽquence dĠune dŽfaite militaire en 1815. Tous ces faits ont dž contribuer ˆ le rendre ausssi inflexible sur le respect du droit et de la lŽgalitŽ.