Souvenirs d'enfance de la guerre de 1914-1918, Žcrits le 11 novembre 1997

par Pauline Marguerite JosŽphine LOMBARD

ˆ l'attention de ses arrire-petits-enfants, (dont Alice DARMANDIEU qui lui a demandŽ de les rŽdiger )

 

Utiliser la barre ci-dessous pour Žcouter un chant bien connu :

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Je suis nŽe le 11 octobre 1907 ˆ Amiens (Somme, 80).

 

Pauline LOMBARD en 1908

 

J'allais donc avoir 7 ans quand la guerre fut dŽclarŽe en 1914.

Je vivais ˆ Amiens avec mon pre, ma mre HŽlne LEPAGE et ma sÏur Alice, mon a”nŽe de cinq ans. Mon pre GŽrard LOMBARD Žtait cheminot, c'est-ˆ-dire employŽ au chemin de fer (ce n'Žtait pas encore la SNCF). Nous habitions dans une petite rue prs de la gare et du dŽp™t (endroit o sont remisŽs les wagons et surtout les locomotives). Mon pre rŽparait les locomotives ˆ vapeur. Nous Žtions souvent ˆ la campagne, ˆ HŽbŽcourt (80) village de toute ma famille.

 

GŽrard LOMBARD rŽparant une locomotive accidentŽe.

 

 

Un des souvenirs du tout dŽbut de la guerre me vient de mon grand-pre maternel Edouard LEPAGE. On avait demandŽ que ceux qui avaient de l'or le donnent pour pouvoir fabriquer les armements. Je revois mon grand-pre retirer d'une poutre de la grande salle de sa ferme un tube mŽtallique, l'ouvrir, Žtaler sur la table des louis d'or, fruit des Žconomies de toute sa vie, les prendre et traverser la rue pour les porter ˆ la mairie qui Žtait en face de chez lui.

Un autre des souvenirs du dŽbut de la guerre fut la rŽquisition des chevaux. Mon grand-pre avait un cheval, Gamin, un beau cheval brun avec une longue queue et un oncle un cheval Bijou. Je les aimais beaucoup et j'ai pleurŽ quand ils sont partis. Mon grand-pre a voulu me consoler: Çne pleure pas, ils vont bient™t revenirÈ. On ne les a jamais revus.

Un jour, les Allemands, on disait les Prussiens, ont envahi Amiens comme tout le Nord de la France. Ils ont dŽfilŽ en vainqueur dans les rues et j'ai couru avec d'autres enfants pour les voir passer dans la grande rue en haut de chez nous. Ils avaient vraiment fire allure, ces Ulhans, sur leurs chevaux, dans leur bel uniforme, coiffŽs de leur casque ˆ pointe, brillant au soleil et surmontŽ d'une longue crinire. Du haut de mes 7 ans, c'Žtait impressionnant. Ce spectacle m'avait beaucoup plu mais nous nous sommes tous fait gronder par nos parents pour tre allŽs les voir.

Pour que la ville d'Amiens soit ŽpargnŽe et non dŽtruite par les Allemands, le maire dut demander ˆ tous les hommes valides encore prŽsents de se rendre ˆ la Citadelle. Mon pre qui Žtait en ‰ge de combattre Žtait mobilisŽ sur place, son mŽtier Žtant utile ˆ l'armŽe. Sur cet ordre tous les hommes dont mon pre obŽirent rapidement et partirent comme ils Žtaient habillŽs ˆ cet instant, certains en pantoufles. Ils se prŽsentaient en otages, mais devinrent des prisonniers et furent emmenŽs en Allemagne. Ils s'y rendirent ˆ pied et revinrent comme mon pre quatre ans aprs. Une rue ˆ Amiens porte le nom: Rue des Otages.

 

 

      

Ci-dessus : cartes postales reproduisant des affiches placardŽes ˆ Amiens pendant la guerre 1914-1918

 

 

 

           

A droite : GŽrard LOMBARD (portant moustaches et barbiche) en Allemagne, lors des obsques d'un camarade de captivitŽ

 

 

          

HŽlne LEPAGE et ses deux filles :

Alice (nŽe en 1902 ˆ Boulogne/mer) et Pauline (nŽe en 1907)

 

 

Mon pre fut donc prisonnier pendant quatre ans dans des camps (stalags) puis dans des fermes. Il tenta ˆ plusieurs reprises de s'Žvader mais il fut arrtŽ ˆ chaque fois ˆ la frontire suisse par des soldats et leurs chiens, dŽception cruelle car il croyait toujours ˆ cet instant avoir rŽussi.

Durant ces longues annŽes nous lui faisions parvenir des colis contenant tricots et friandises. Ces friandises, nous n'en avions pas beaucoup mais on prŽfŽrait les lui envoyer. Il nous a avouŽ aprs son retour en avoir peu mangŽ car lˆ-bas les enfants (Allemands) n'avaient rien et il les leur offrait. Pour survivre ˆ certains moments trs durs de sa captivitŽ il a mangŽ l'Žcorce des arbres. A son retour il pesait 48 kilos pour 1,78 m. Il ne s'en est jamais remis et il est dŽcŽdŽ dix ans plus tard ˆ l'‰ge de 50 ans.

 

 

     

A gauche : route de Paris ˆ HŽbŽcourt ; ˆ droite : le cafŽ BOUVET pendant la grande guerre

 

 

Pendant toute la guerre j'ai continuŽ d'aller ˆ l'Žcole aussi souvent que possible. Je travaillais le mieux que je pouvais pour faire honneur ˆ mon pre. Les poŽsies, les chants, les textes lus, les leons de morale et mme les leons de grammaire avaient la guerre pour thme.

Durant toute cette guerre, suivant l'approche des combats nous avons souvent quittŽ notre maison, on disait Žvacuer, pour nous rendre ˆ des endroits moins exposŽs. Un jour un oncle nous a emmenŽes, ma mre, ma sÏur et moi, sur un chariot ˆ quatre roues avec un peu de mobilier, nous nous sommes arrtŽs et nous avons dormi dans une grange sur de la paille. Mais nous sommes revenues chez nous et ˆ d'autres moments reparties encore. D'autres ŽvacuŽs du Nord de la France se sont aussi arrtŽs chez nous; c'est ainsi qu'une famille de rŽfugiŽs a liŽ amitiŽ avec ma famille et que quinze ans plus tard j'ai ŽpousŽ le fils de cette famille.

 

 

Vers 1932 : Pauline et AdhŽmar LEMAIRE, le fils de la famille de rŽfugiŽs.

 

 

 

Je suis donc allŽe ˆ l'Žcole ˆ Amiens, ˆ HŽbŽcourt et en Dordogne ˆ Lamonzie-Montastruc  ˆ c™tŽ de Bergerac o nous Žtions ŽvacuŽs, j'allais ˆ l'Žcole au ch‰teau. Nous avions ŽvacuŽ c'est-ˆ-dire nous Žtions partis de chez nous au moment de la bataille de la Somme, le front Žtant ˆ quelques kilomtres ˆ Boves, on entendait l'artillerie nuit et jour, c'Žtait devenu trs dangereux. Dans le train qui nous emmenait ma mre, ma sÏur Alice et moi, des Žtrangres, peut-tre des Anglaises, ont louŽ sur un quai de gare un oreiller pour moi. En Dordogne, nous avions ŽtŽ trs bien accueillies chez une tante mais le plus gros problme Žtait que les gens ne parlaient pas franais et on ne se comprenait pas! Sans doute un patois comme souvent dans les campagnes.

 

Ci-dessus : HŽbŽcourt en 1908 : ˆ droite l'entrŽe de l'Žcole que frŽquenta Pauline,

ˆ gauche portant bŽret et chemise blanche : AlmŽnor PASCAL dit MŽnor,

la dame portant un bŽbŽ est Lucienne LEPAGE tante de Pauline.

 

 

A l'Žcole ˆ Amiens nous avons dž ˆ plusieurs reprises quitter notre classe ˆ cause des bombardements et descendre dans de longs souterrains  pour nous mettre ˆ l'abri. Mais les bombardements avaient souvent lieu la nuit. Nous habitions prs d'un endroit stratŽgique, et si notre maison ne fut jamais dŽmolie, elle eut plus d'une fois ses portes soufflŽes et ses vitres cassŽes. Nous apprŽhendions surtout les nuits de pleine lune; ˆ cette Žpoque pas de radar et les aviateurs devaient voir leurs objectifs.

Alors  les nuits de pleine lune nous ne dormions pas dans notre lit ˆ l'Žtage. Ma mre nous mettait un oreiller sur la table et nous essayions de dormir dans cette position, guettant les bruits d'un Taube, bombardier allemand, un seul ˆ la fois, qui viendrait bombarder la gare et le dŽp™t. Quand c'Žtait indispensable nous descendions ˆ la cave nous mettre ˆ l'abri quelquefois avec des voisins. Quand le bombardement Žtait fini on remontait dans l'obscuritŽ (les lampes ˆ pŽtrole qu'on utilisait, pas de gaz, ni d'ŽlectricitŽ encore ˆ cette Žpoque, Žtaient bien sžr Žteintes), dans les gravats, les dŽbris de verre et les courants d'air. Une nuit une bombe est tombŽe dans notre jardin.

Cette guerre faisait beaucoup de morts et de blessŽs. Un matin je dus aller ˆ une autre Žcole assez loin de chez moi, la mienne ayant ŽtŽ transformŽe en h™pital. A l'Žcole on faisait de la charpie c'est-ˆ-dire qu'on dŽchirait des vieilles toiles en petites bandelettes pour faire des pansements pour les blessŽs. Les plus grandes des Žlves tricotaient des lainages chauds pour les soldats et les prisonniers.

Plusieurs de mes oncles et cousins ont fait activement cette guerre, l'un, Pierre, y a laissŽ la vie, il avait 20 ans, un autre Benjamin nous a racontŽ sa peur et sa terreur de devoir monter ˆ l'assaut ˆ la ba•onnette dans les tranchŽes, dans ce corps ˆ corps c'Žtait l'autre ou bien lui, il ne fallait pas y penser. Dans cette horreur il disait qu'il aurait voulu tre blessŽ pour ne plus y aller, blessŽ ˆ un bras il a ŽtŽ soignŽ et il y est retournŽ! Un jour de permission, ma mre a aidŽ cet oncle ˆ se nettoyer et je les revois encore trs bien dans la cour de la ferme dŽrouler la longue ceinture de flanelle et Žcraser tous les poux et puces rŽcoltŽs dans les tranchŽes. Un cousin a ŽtŽ parti 7 ans. Il faisait partie de la classe 11, service militaire de 3 ans en 1911, en 1914, il avait donc fini mais il fut mobilisŽ et fit la guerre pendant encore 4 annŽes.

 

 

      

Ci-dessus : HŽbŽcourt pendant la guerre de 1914-1918

 

 

Pour remplacer les hommes partis ˆ la guerre souvent ma mre allait aider sa famille aux travaux des champs. Nous faisions ˆ pied les 10 km qui nous sŽparaient de son village d'origine HŽbŽcourt au sud d'Amiens. Lˆ-bas je retrouvais mes cousins et mes cousines. Ces travaux nous permettaient de vivre un peu mieux aussi car durant ces quatre annŽes ma mre a reu la moitiŽ du salaire de mon pre.

J'Žtais donc souvent ˆ la campagne ˆ l'arrire du front (quelques kilomtres) et il y avait des soldats partout dans les fermes. Ils s'y reposaient un peu et certains,les cuistots, y faisaient la cuisine, la popote, pour ceux du front, d'autres conduisaient ces repas dans des "roulantes". Et moi je tournais autour d'eux, trs souvent je mangeais avec eux, aprs je mangeais aussi chez moi, j'Žtais devenue toute ronde ce qui fit l'admiration de mon pre ˆ son retour, lui qui Žtait si maigre.

Avec les soldats j'ai aussi assistŽ aux premires sŽances de cinŽma donnŽes pour les distraire et je me souviens d'avoir eu trs peur ˆ voir les images qui semblaient venir sur moi.

La guerre s'achevait enfin et mon pre revint en septembre 1918. Je savais qu'il allait arriver et quand il fut lˆ, je ne l'ai pas reconnu et lui non plus. J'avais maintenant 11ans et il avait quittŽ une toute petite fille. La vie reprit son cours et le 11 Novembre 1918 fut vraiment un jour de joie dŽlirante pour tout le monde. J'entends encore le carillon de toutes les cloches des Žglises.

Peu de temps aprs je fis ma communion solennelle avec tous les enfants qui n'avaient pas pu la faire pendant la guerre, certains avaient 16 ans, d'autres n'Žtaient mme pas allŽs au catŽchisme.

Je retournais aussi ˆ l'Žcole et si moi j'y Žtais allŽe ˆ peu prs rŽgulirement, d'autres n'avaient pas frŽquentŽ l'Žcole, ils avaient plusieurs annŽes de retard et les ma”tres ne savaient pas dans quel cours les mettre car ils Žtaient trop vieux et ne savaient pas lire.

A la fin de cette guerre, tout le monde a souhaitŽ que ce soit la dernire. HŽlas, il y en a eu d'autres. J'espre que les jeunes enfants d'aujourd'hui n'auront jamais ce genre de souvenirs.

 

 

  

Ci-dessus : cartes postales reproduisant des affiches placardŽes ˆ Amiens pendant la guerre 1914-1918