Charlemagne ˆ la 40e gŽnŽration ?

(par Marcel FOURNET)

 

Est-il exceptionnel de trouver Charlemagne et son Žpouse Hildegarde dans un arbre gŽnŽalogique  si on arrive ˆ remonter ˆ la 40e gŽnŽration? On va voir que cette question ne peut tre rŽsolue de faon scientifique, la thŽorie des probabilitŽs  ne pouvant sĠappliquer  ici.

 

A)  Nombre de couples vivant en Europe en 800

 

La population de la France en 2008 est de 65 000 000 habitants dont 16 000 000 couples (mŽnages mariŽs ou non). D'aprs le "Quid" la population de l'Europe, de lĠAtlantique ˆ lĠOural, au temps de Charlemagne vers 800 Žtait de 40 000 000 habitants environ. On peut alors estimer (trs) approximativement ˆ N = 10 000 000 le nombre de couples, dont en particulier le couple Charlemagne-Hildegarde.  Dans ce qui suit  N sera toujours le nombre 10 000 000.

 

B)   Notre arbre gŽnŽalogique  ˆ la 40e gŽnŽration

 

 

On raisonne ici  en termes de couples plut™t quĠen termes dĠindividus.

Combien de couples comporte notre arbre gŽnŽalogique ˆ la 40e gŽnŽration? A la deuxime gŽnŽration: un seul: les parents; ˆ la troisime: deux couples: les grands-parents; ˆ la quatrime: 4 = 22 couples : les arrire-grands-parents; ˆ la cinquime: 8 = 23 ; ˆ la quarantime gŽnŽration notre arbre comporte n = 238 couples soit 274 877 906 900 couples, c'est ˆ dire beaucoup plus que les N=10 000 000 estimŽs ˆ cette Žpoque. Il est donc absolument impossible qu'ils soient tous diffŽrents.

La consanguinuitŽ est donc phŽnomŽnale  pour chacun d'entre nous!

Il para”t tentant de dire :  Ç donc È la probabilitŽ  de descendre de Charlemagne est proche de 1 (100% de chances) : 0,90 (90% de chances) par exemple, comme on le prŽtend sur de nombreux sites de gŽnŽalogie!  On va voir que tout nĠest pas aussi simple.

 

C) Les implexes

 

En gŽnŽalogie, on dit que deux couples sont implexes sĠils sont identiques. Chacun a remarquŽ en construisant sa gŽnŽalogie quĠil y a toujours quelque part de la consanguinuitŽ. Si ˆ la 6e gŽnŽration il y a un couple formŽ de cousins germains, cĠest quĠˆ la huitime il y a deux implexes. Pour avoir le nombre de couples diffŽrents ˆ la 9e il faut donc retirer 2 couples, et ˆ la quarantime il faudra donc retirer 232 couples, soit 4,3 milliards, des n couples ŽvoquŽs au paragraphe prŽcŽdent. Mais les mariages consanguins vont encre, aprs la 8e gŽnŽration, se rŽpŽter sans arrt, ce qui explique que le nombre de couples diffŽrents de notre arbre va, ˆ la 40e gŽnŽration tre nettement infŽrieur ˆ N.

 

D) Un jeu de boules

 

Imaginons le jeu suivant, inspirŽ  du tirage du Loto National, mais avec une rgle diffŽrente. Dans une urne se trouvent N boules, de forme de poids dĠaspect indiscernables,  sur lesquelles sont inscrits les noms des N couples vivant en Europe en lĠan 800; sur lĠune dĠelle  est donc Žcrit : Charlemagne-Hildegarde,  sur une autre : Geoffroi-Jehanne etc É

Voici la rgle du jeu. La machine sort une boule au hasard ; on note le nom du couple, puis on remet la boule dans lĠurne. Aprs avoir tout remuŽ on ressort une boule au hasard et note le nom du couple. On rŽpte n = 238 cette Žpreuve. (En quelque sorte, on ignore les implexes qui sont incalculables). On remarque que les tirages sont tous indŽpendants  et que les tirages individuels sont Žquiprobables : on a autant de chances de sortir la boule Charlemagne-Hildegarde  que la boule Geoffroi-Jehanne.  Ce jeu est bien entendu imaginaire et techniquement irrŽalisable, ne serait-ce quĠˆ cause de sa durŽe.

La probabilitŽ  P ˆ chaque tirage de voir appara”tre le couple Charlemagne-Hildegarde  est de : une chance sur 10 000 000 soit P = 10-7= 1/N. . La probabilitŽ de ne pas tomber sur le couple Charlemagne-Hildegarde est donc  : 1-P = 0,9999999.

On montre en utilisant les mathŽmatiques (thŽorie des probabilitŽs: loi bin™miale) que la probabilitŽ p qu'il n'y ait pas une seule fois le couple Charlemagne-Hildegarde lors des n tirages est donnŽ par la formule:

p = (1-P)n = (0,9999999)274 877 906 900

Si on utilise une calculatrice ou un ordinateur, on trouve p = 0. En fait le nombre p est tellement petit, que la machine arrondit ˆ 0. En utilisant les logarithmes dŽcimaux, on trouve que: p = 1,598.10-11938 = 0,000.....1598 ; donc avec 11937 zŽros entre la virgule et le 1598.

C'est vraiment un nombre petit. La probabilitŽ qu'il y ait donc au moins une fois le couple Charlemagne-Hildegarde aprs les n tirages est 1-p = 0,99999999999....., c'est donc pratiquement certain. Au moins une fois signifie: exactement une fois, ou exactement deux fois ou exactement trois fois, .... ou n fois.

 

E) Pourquoi le schŽma thŽorique du D) ne peut sĠappliquer ˆ la gŽnŽalogie ?

 

Tout dĠabord quand on fait sa gŽnŽalogie, on ne part pas de la 40e gŽnŽration, en y mettant Charlemagne-Hildegarde de force, pour arriver jusquĠˆ nous. Bien au contraire, on part de soi-mme et on remonte plus ou moins pŽniblement en arrire.

Nous voilˆ arrivŽs par exemple ˆ la 10e gŽnŽration (plus gŽnŽralement la gŽnŽration nĦK), et on a trouvŽ que tous les individus sont manouvriers, bergers, tonneliers ou marchands dĠallumettes et ils sont quasiment tous cantonnŽs dans le Boulonnais. On cherche maintenant les anctres de la 11e gŽnŽration (ou la gŽnŽration nĦK+1), cĠest-ˆ-dire les parents des individus de la 10e; est-ce quĠon procde par tirage au sort pour les trouver, un peu comme dans le jeu de boules ci-dessus ?

Evidemment non :

* Il ne se trouvera aucun individu  de Kiev, Lisbonne ou Naples, mais de paisibles personnages du Boulonnais dont lĠorigine gŽographique ne sera pas plus ŽloignŽe de 30 km des lieux trouvŽs ˆ la 10e. Chacun sait que les mariages se faisaient le plus souvent ˆ partir dĠhabitants du mme village  ou de villages voisins.

** On nĠaura en plus absolument aucune chance de tomber pour la 11e gŽnŽration sur le prince de Clermont-Tonnerre, la duchesse de La Rochefoucault-Liancourt,  pas plus que sur un grand duc de Kiev ou un roi de Naples. Chacun sait quĠen 1700 (et encore en 2009 !), les mariages se faisaient par strates sociales et professionnelles: un fils de pauvres manouvriers Žpousait une fille de pauvres manouvriers. Jamais une fille  de roi nĠa ŽpousŽ un berger ou un marŽchal-ferrant.

Ainsi si vos anctres trouvŽs ˆ la 39e gŽnŽration (si cĠest possible dĠy arriver) sont tous de pauvres paysans ou de pauvres ouvriers, ˆ la 40e il nĠy aura pas le couple Charlemagne-Hildegarde. Tant pis.

 

F) Que conclure dans le cas gŽnŽral?

 

Il y a forcŽment en 2009 des descendants de Charlemagne, plut™t cantonnŽs dans lĠEurope du Nord. On ne peut pas dire que 90% des gens lĠont comme anctre comme le disent certains gŽnŽalogistes de renom; 90% cĠest beaucoup trop. Personnellement je pense que 10% seraient dŽjˆ plus proches de la rŽalitŽ. Si tous les habitants actuels de lĠEurope faisaient leur arbre gŽnŽalogique, on pourrait ensuite faire des statistiques et donner le pourcentage de ceux qui descendent dudit empereur ˆ la barbe fleurie. Mais les calculs de probabilitŽs ne conviennent pas du tout ici. Un argument pouvant indiquer quĠaujourdĠhui les  desdendants de Charlemagne sont nombreux est que les enfants de Charlemagne ainsi que ses descendants, ont ŽtŽ mieux nourris et soignŽs que les autres enfants dĠEurope, et par lˆ mme ont eu moins de chances de sĠŽteindre.

Par ailleurs il faut bien aborder le problme de lĠauthenticitŽ  de nos gŽnŽalogies. On considre que les parents sont ceux inscrits dans les registres, actes notariŽs et autres documents Žcrits. On fait semblant dĠignorer les enfants nŽs dĠadultres volontaires, ou dĠabus de pouvoir commis par les puissants sur leurs servantes pauvres mais jolies, ou de viols commis par la soldatesque lors des guerres incessantes  qui empoisonnent la vie des gens depuis toujours. Heureusement quĠen gŽnŽalogie  on ignore la gŽnŽtique et les mitochondries ! La gŽnŽalogie est quand mme une occupation passionnante. On est amenŽ en plus ˆ Žtudier lĠhistoire locale.

 

G) Et pourtant certaines personnes Ç non nobles È descendent de Charlemagne

 

En faisant son arbre gŽnŽalogique mon Žpouse Michle LEMAIRE a dŽcouvert qu'elle descend (peut-tre)  de Charlemagne-Hildegarde  de la faon suivante. Elle cherchait ˆ Amiens le contenu du mariage en 1768 concernant ses anctres Jean-Baptiste BAILLON-Marie Catherine SERGENT (nos Sosa 100-101) . Elle s'attendait ˆ trouver deux anctres picards; eh bien non, l'Žpouse est nŽe ˆ Hervelinghen, pas loin de Boulogne-sur-mer (62). En faisant des recherches ˆ partir des registres dĠorigine,  et en puisant fortement dans les travaux dĠŽrudits boulonnais  tels Daudruy, Lorge, Parenty et Vasseur, on aboutit vers 1500, ˆ un Jacques du BLAISEL (peut-tre) mariŽ avec une Marie de BOURNONVILLE. L'ascendance des de BOURNONVILLE a ŽtŽ faite par les historiens et les gŽnŽalogistes. S'il ne s'agit pas dĠune gŽnŽalogie de complaisance, on remonte jusquĠˆ Charlemagne.

Chacun d'entre nous a pu remarquer quĠavant 1500, la gŽnŽalogie devient imposssible. Tout simplement parce qu'il n'y a plus de documents: registres BMS ou actes notariŽs. Si exceptionnellement on tombe sur une femme Ç noble È, on peut espŽrer remonter loin. Comment cela peut-il arriver? Imaginons une famille Ç noble È de rang peu ŽlevŽ du genre : Žcuyer sieur de XÉ, ayant huit enfants tous parvenus vivants ˆ l'‰ge adulte. Le fils a”nŽ hŽrite du titre nobiliaire et des terres. Deux autres enfants serviront dans les armŽes. Deux autres seront prtres ou religieux. Mais que faire de la petite dernire? On la marie avec un riche laboureur ou quelqu'un d'aisŽ ou important, notaire ou procureur. C'est par ce moyen qu'on peut espŽrer remonter ˆ la quarantime gŽnŽration, et donc trouver Charlemagne.

SacrŽ Charlemagne! Heureusement pour nous:

Il a eu cette idŽe folle

Un jour d'inventer l'Žcole.

Sinon on n'aurait pas pu faire les calculs prŽcŽdents, ni mme faire nos arbres gŽnŽalogiques.