Jehan DU BUSROBERT, d’Ambrines

(AD59, B1698, folio64)

En 1475, Jehan DU BUSROBERT et autres compagnons demeurant à Gouy, étant dans une taverne d’Houvin, se moquent des chaussures d’Hacquinet LOIRRE, beau-fils de Jehan LE SIEURRE, qui étaient très sales à cause de la pluie et de la fange. S’ensuivent d’innombrables querelles, coups, rixes, menaces avec arcs et flèches. Finalement Jehan LE SIEURRE est tué d’un coup d’épieu sur la tête et d’unc coup de pique dans le dos, donnés par les suppliants.

La présente lettre de rémission, signée de Charles le Téméraire duc de Bourgogne et souverain de l’Artois, a été retranscrite in extenso, ce qui la rend un peu fastidieuse à cause de sa longueur.

Charles, etc, savoir faisons à tous présens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan DU BUSROBERT filz naturel de Sohier DU BUSROBERT, Loyset LE DOSSU, Hue GOSSON, Jehan LE CUVELIER maressal, Mahieu et Pierrot LE CUVELIER frères, et Pierre BRICQUET, contenant comme lesdicts suplians feussent le jour du Sacrement dernier passé, venuz du lieu d’Ambrine où ilz demouroient, au lieu de Houvin pour voir la feste et esbatement qui se faisoit icelui jour audict lieu de Houvin, comme il est accoustumé de longtemps. Et feussent à le boire ensemble en la maison d’un nommé Jacotin DU VAL dit le Merchier, tavernier oudict lieu de Houvin, ung nommé Hacquinet LOIRRE beau filz de Jehan LE SIEURRE dit le Caron passa, cependant que lesdicts suplians buvoient en ladicte taverne comme pluiseurs autres faisoient, pardevant icelle taverne aiant chaussié une paire d’escarpins couvers de boue ou fange pleine d’eau à cause de la pluye qui estoit peu paravant chute. Laquelle chose voyant, ung nommé Robin dit Bastard HECQUET, qui estoit de l’escot d’autres compaignons aussi buvans en ladicte taverne, lors estant aux fenestres de la chambre où buvoient lesdicts suplians, HECQUET et pluiseurs autres à divers escos dit tout hault par ledictes fenestres de ladicte chambre en adressant ses parolles à l’un de ses compaignons de son escot : viens cha, par le char Dieu vechy ton frère, regarde comment il est bien en point par les piés comme tu es. Et lors ledict compaignon vint ausdictes fenestres et regarda avec ledict Bastard HECQUET ledict Hacquinet qui pasoit comme dit est, à tout lesdicts eschappins blans tous enfangiez et flotans en ses piez par force d’eaue comme dit est. Desquelles derrisions et mocqueries ledict Hacquinet et autres de sa compaignie se desmontrent malcontens et commencèrent à murmurer. Et prestement que ledict Bastard s’apercheut que ledict Hacquinet prendroit lesdictes parolles à iniures et desplaisance, il se refraindi et leur dit tout hault : compaignons ne vous desplaise, ce n’est que par esbatement tout ce que nous disons, je vous prie montez en hault et venez boire, nous vous en donnerons vonlentiers. Et pour ce que ledict Hacquinet ne s’avançoit point assez tost pour venir boire au gré dudict Bastard HECQUET, icelui Bastard descendy en bas et fist tant par belles parolles, que icelui Hacquinet et aucuns de sadicte compaignie montèrent en ladicte chambre avec lui et burent à l’escot et en la compaignie dudict Bastard. Et prestement se démonstra bien content dudict Bastard HECQUET et autres de sa compaignie qui s’estoient ainsi raillé pour ses dicts eschappins. et tantost après se départirent et descendirent en bas, icelui HACQUINET et ceulx de sadicte compaignie, sans en quelque manière faire semblant de manière de hayne, ne eulx adressier ne prendre parolles audict Jehan DU BUSROBERT supliant, ne à aucun autre desdicts suplians qui buvoient en ladicte chambre à ung autre escot, bien prez de l’escot dudict Bastard HECQUET, ne aucunement démonstrer semblant qu’ilz ne aucun d’eulx feussent malcontens desdicts suplians, ne d’aucun d’eulx.

Mais quant ledict Hacquinet fut descendu comme dit est de ladicte chambre, et venu sur les rues, ledict Jehan LE SIEURRE son beaupère, qui estoit de la compaignie d’icelui Hacquinet, lequel étoit très malcontent desdictes parolles qui pour lesdicts eschappins avoient esté dictes en derrision dudict Hacquinet, tendy ung arc à main qu’il avoit et mist en sondict arc une flèche, et s’efforça par pluiseurs fois de tyrer par les fenestres dedens ladicte chambre où estoient et buvoient lesdicts suplians : ledict Bastard HECQUET et pluiseurs autres à divers escos comme dit est. Laquelle chose voyant par Michelet LE SIEURRE filz dudict Jehan LE SIEURRE, il fit à icelui Jehan son père pluisuers doulces remonstrances, afin qu’il voulsist estre content de ce, soy déporter de vouloir tyrer en ladicte chambre pour doubte du commencement. Mais ou contempt desdictes remonstrances, ledict Jehan LE SIEURRE son père, lequel avoit cedict jour fort beu et estoit vaincu de vin, tyra ung braquemart qu’il avoit et s’efforça d’en férir ledict Michelet son filz. Et lors ledict Jehan HACQUINET son beaufilz le print par le bras, et le cuida emmener arrière de ladicte taverne en mettant aussi peine de le rapaisier et réfréner son ire. Mais nulle remonstrance n’y valoit, car il vouloit tousiours tyrer dans ladicte chambre par lesdictes fenestres. Et ledict Bastard HECQUET vey la manière de tyrer en ladicte chambre, il descendi prestement de la mesme chambre avec de sa compaignie, embastonnez de picques et autres bastons, en deémonstrant semblant de vouloir adresser et courresier pour le faire cesser de sondict trait. Mais ledict Bastard HECQUET et sesdicts compaignons furent prestement tenuz par les assistens, en manière qu’ilz ne porent approuchier ledict Jehan LE SIEURRE. Et comme ledict Jehan DU BUSROBERT eust oy ledict débat et noyse, il se leva de la table et s’en vint aux fenestres de ladicte chambre, pour veoir qui c’estoit en my la rue qui faisoit ledict débat. Et lors ledict Jehan LE SIEURRE adressa ses parolles, sondict arc tendu audict DU BUSROBERT supliant qui estoit comme dit est ausdictes fenestres, et dit tout hault : faulx traictre, filz de ribaude, c’est bien par toy que la noise est icy mesme, en renyant et malgréant par pluiseurs fois Dieu notre créateur, et faisant tousiours semblant de vouloir tyrer de sondict arc vers lesdictes fenestres, parmy ledict Jehan DU BUSROBERT supliant. Et lors icelui Jehan DU BUSROBERT dit à haulte voix aux autres suplians qui estoient de sadicte compaignie : hors sus, levons nous et nous en alons en bas, comme ils firent tous embastonnez de leurs bastons qu’ilz avoient avec eulx, avec lesquels se mist et mesla ledict Bastard HECQUET et ses deux compaignons, qui désia estoient yssus de ladicte taverne comme dit est. Et s’en vint ledict Bastard HECQUET aproucher tout le premier dudict Jehan LE SIEURRE en lui disans, présens ledict Hacquinet so beaufils et ledict Michelet LE SIEURRE son filz : advise maintenant que tu veulz faire. Auquel Bastard HECQUET ledict Hacquinet qui aussi avoit ung arc tendu dit qu’ilz ne lui demandoient riens, et que ce n’est point à lui que on en vouloit, et qu’il povoit bien aller arrière. Et pendant ces parolles les aucuns desdits suplians assavoir, Pierre BRICQUET coppa les cordes des arcs desdicts Jehan LE SIEURRE et Hacquinet son beaufilz qui estoient ainsi tendus et entosez sur eulx. Et incontinent que iceulx Jehan LE SIEURRE et Hacquinet son beaufilz veirent les cordes de leursdicts arcs copées, ilz jurèrent et malgréérent par pluiseurs fois Dieu notre créateur que la chose n’en demouroit point ainsi, et s’en alèrent incontinent pour acheter des autres cordes.

Et tost aprè se départirent lesdicts Bastard HECQUET et ceulx de sa compaignie desdicts suplians sans plus parler l’un à l’autre. Lsequels suplians vindrent en la place dudict Houvin regarder la feste, embastonnez de leurs dicts bastons. Et prestement ou assez tost après lesdicts Jehan LE SIEURRE, Hacquinet et Michelet ses filz et beaufilz, ayans recouvré nouvelles cordes à leurs arcs, retournèrent en ladicte place atout leursdicts arcs rebendez. Laquelle chose voyans les dicts suplians, et que lesdicts Jehan LE SIEURRE et sesdicts filz et beaufilz s’estoient assiz pour eulx reposer auprez de la maison d’un nommé Baudot LOISEL, qui fait fin de ladicte ville de Houvin pour aller audict lieu d’Ambrine, ilz se retrayrent d’icelle par les jardins et par derrière le plus quoyement et secrételent le plus qu’ilz porrent, bonnement pour eulx en aller audict lieu d’Ambrine où ilz demouroient, prétendans et désirans de fuyr noise et débat, et non avoir plus affaire ausdicts Jehan et sesdicts filz et beaufilz.

Mias prestement que iceulx Jehan, son filz et beaufilz, eurent aperçu le premier desdicts suplians, ils se levèrent et mirent à chemin. Quoy voyant, lesdicts suplians ilz parlèrent à ung nommé Pierre MANESSIER aussi demourant audict Ambrine, et au frère du curé dudict lieu, lesquels ils trouvèrent sur le chemin retournans dudict Houvin où ilz avoient à ladicte feste audict Ambrine, que si ils se voulsissent donner garde et eulx ung petit atempter et tenir derrière, et adviser après ledict Jehan LE SIEURRE et autres de sadicte compaignie quel chemin ilz tiendroient après eulx, et s’ilz veoient qu’ilz délaisassent le chemin de Gouy où ils demouroient et prindeissent le chemin ducdict Ambrine, que ledict Pierre MANNESSIER et son dict compaignon leur deisent et remonstrassent bien doulcement, que lesdicts suplians ne ne leur demandoient riens, et qu’ilz leur prioient pour l’amour de Dieu qu’ilz les laissassent aller paisiblement et qu’ilz ne leur vouloient que tout bien. Ce que ledict Pierre MANNESSIER et sondict compaignon promirent ausdicts suplians faire, et ne demoura gaires que ledict Pierre et sondict compaignon veirent que lesdicts Jehan LE SIEURRE et ceulx de sadicte compaignie se prindrent à suyr le chemin d’Ambrine pour venir après lesdicts suplians. Parquoy icelui Pierre MANNESSIER et sondict compaignon, pour eulx acquitter de ladicte promesse qu’ilz avoient faicte ausdicts suplians, se approuchèrent desdicts Jehan LE SIEURRE et ceulx de sadicte compaignie, ausquelz ilz feirent pluiseurs doulces admonicions, persuasions et remonstrances, à ce qu’ilz se voulsissent déporter et rapaisier de leur fureur et emprinse, en leur priant pour amour de Dieu par par diverses fois qu’ilz ne alassent plus avant après ledict Jehan DU BUSROBERT supliant, ne les autres suplians de sa compaignie, et qu’ilz ne leur demandoient riens et ne vouloient que bonne paix, contendans par doulce voye de les faire retourner ou chemin de Gouy vers leurs maisons. A quoy ledict Jehan LE SIEURRE respondy et jura le sang Dieu qu’ilz ne retourneroient ja et qu’ilz ne sieroient fors ledict DU BUSROBERT et qu’ilz sauroient à lui pourquoy il leur avoit fait copper les cordes de leurs arcs.

Et tantost aprèsicelui Jehan LESIEURRE comme ung homme hors du sens et lequel avoit dit que le dyable lui devoit une journée et que il creoit que ce jour il y auroit mort d’homme ou parolles en substance, ecrya à haulte voix atout sondict arc bendé et la flèche encochée, en alant tout rade après ledict DU BUSROBERT supliant qui aloit devant avec les autres suplians disant ces motz : faux traitre, filz de putain, attens moy là, je renie Dieu, je sauray pourquoy tu as fait copper noz cordes. Et disant ces parolles ou semblables en substance, se meirent à courre à grant force vers lesdicts Jehan LE SIEURRE, Hacquinet et Michelet ses filz et beaufilz après lesdicts suplians. Et en aprouchant tyra ledict Hacquinet LOIRRE, beaufilz dudict Jehan, un flèche dont il navra Mahieuet LE CUVELLIER. Et après ce cop, icelui Jehan LE SIEURRE entoza une flèche sur Hue GOSSUIN l’un desdicts suplians, lequel d’un petit planchon crêtelé à picquots bailla audict Jehan LE SIEURRE en la teste dont il cheut par terre . Et lors ledict Michelet filz dudict Jehan LE SIEURRE fery ledict Hue GOSSUIN en la teste d’une percussionne à sang. Et ce fait Loyset de DOSSU aussi l’un desdicts suplians vint atout une picque, et en percha par ledos ledict Jehan LE SIEURRE qui comme dit est avoit esté abatu dudict planchon, desquelz cops ledict Jehan LE SIEURRE termna sur la place vie par par mort. Et en faisant ces choses les aucuns desdicts suplians se prindrent à chassier à travers champs lesdicts Michelet et Hacquinet, lesquelz se mirent à fuyte et à tant print fin ledict débat.

Obstant lequel cas et hommicide, lesdicts suplians jasoit ce que dez le lendemain, ilz eussent fait paix à partie, n’oseroient pour doubte de rigueur de justice jamais retourner ne converser en noz pays et seigneuries, se notre bénigne grace et miséricorde ne leur estoit sur ce impartie, dont attendu ce que dit est, et que en autres cas ilz sont gens de bonne vie et honneste conversacion, sans jamais avoir esté attains ne convaincuz d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, ilz nous ont très humblement suplié et requis. Pourquoy nous, ce considéré ou sur ce l’advis de notre gouverneur d’Arras ou de son lieutenant, et veue en notre grant conseil certaine informacion sur ce par lui faicte en notre ordonnance, par laquelle appert ledict cas estre advenu en la manière dessus posée, ausdicts suplians et à chacun d’eulx inclinans à leurdicte suplicacion et requeste, et leur voulans en ceste partie grace et miséricorde préférer à rigueur de justice, nous avons ou cas dessusdict quitté, remis et pardonné, et de notre certaine science et grace espéciale, par ces présentes, remettons et pardonnons ledict cas et homicide dont dessus est fait mencion. Ensemble toute peine amende et offence corporelle et criminelle, en quoy pour cause et occasion d’icelui et les deppendances ilz et chacun d’eulx peuvent avoir mespris et estre encourus envers nous et justice, en rappellant et mettant au néant tous bans appeaulx contumaces et desfaulx, que à ceste occasion sont ou pourroient estre faiz et préférez à l’encontre de leurs personnes, et les avons quant à ce remis remis et restituez, remettons et restituons, à leurs bonnes fames et renommées au pays et à leurs biens non confisquez s’aucuns en y ont, en imposant sur ce, silence perpétuel à notre procureur général et à tous autres noz officiers quelzconques, satisfaction toutesvoyes faicte à partie civilement tant seulement se faire n’est et elle y chiet, et moyennant amende civile à l’arbitraige du gouverneur d’Arras ou de son lieutenant informat.

Donné en notre ville de Gand, ou mois d’aoust l’an de grace mil III^C LXXV. Ainsi signé par monseigneur le Duc à la rellacion du conseil ; Bercest visa.

[eschappins = escarpins ; le char = la chair ; bracquemart = épée ; attempter/attenter = faire une tentative ; quoyement = silencieusement ; planchon = épieu, arme de choc]